Petite histoire (de l'art) par Bernard Lamarche, conservateur de l’art actuel (2000 à ce jour), MNBAQ
28 octobre 2013

Un siècle, dix tableaux

 

Bernard Lamarche, conservateur de l'art actuel au MNBAQ, explique comment l'artiste Bill Vazan a, pendant deux ans, utilisé un tampon dateur pour énumérer la date de chacun des jours du 20e siècle...

 

L’impressionnante suite de tableaux intitulée XXe Siècle (1973-1975) fait partie d’un cycle de création ambitieux de Bill Vazan, une figure majeure de l’art conceptuel et du Land Art canadien. Sous le titre générique de Datures, les œuvres, esquisses et notes de ce cycle ont nécessité quatre années de travail, au cours desquelles Vazan a réalisé entre autres Decade (1973), 8e Décennie (1973-1974), Personal History (2 Years) (1973-1974) et Countdown (1975). Ces œuvres se présentent sous forme de tableaux – sur toile, tissu ou panneau de bois – affichant des dates appartenant au 20e siècle, imprimées à l’acrylique au moyen de tampons dateurs.

La procédure semble simple. Pour XXe Siècle, Vazan a, pendant deux ans, parallèlement à d’autres activités, utilisé un tampon dateur pour énumérer, patiemment et systématiquement, la date de chacun des jours du 20e siècle, du 1er janvier 1900 au 31 décembre 1999.

La démarche de Vazan lorsqu’il entreprend XXe Siècle se distingue sous plusieurs aspects de celle d’un Roman Opalka, qui, de 1965 à sa mort, en 2011, a peint une suite continue de nombres en commençant par le chiffre 1. Vazan reprend plutôt à son compte la convention du calendrier romain, découpé en siècles, en décennies, en années, en semaines et en jours. Alors que la tâche que s’est assignée Opalka n’a été interrompue qu’à son décès, Vazan savait qu’il travaillait avec des quantités énormes, mais finies. Il a donc moins entamé sa série de tableaux en pensant à sa propre durée de vie d’homme qu’en cherchant à prendre la mesure d’un temps qui passe, mais déjà écoulé – ou en voie de l’être (il devance tout de même la fin du siècle de vingt-cinq ans lorsqu’il produit l’œuvre). En d’autres mots, sans savoir quand il allait achever son entreprise, il avait conscience, sans doute, que le terme en était fixé dès son commencement et qu’il en verrait la fin.

Cette étendue historique matérialisée du temps se veut une invitation pour le spectateur à trouver sa date. Car rien de plus naturel que de chercher, à travers le temps devenu écriture et couleur, sa date de naissance dans l’étendue picturale offerte au regard. Tous ceux qui sont nés durant ce siècle pourront donc y trouver leur espace, en parcourant les colonnes du regard, avant de s’arrêter sur un point précis. Tout un chacun pourra s’inscrire dans le temps et l’espace, en s’appropriant l’œuvre pour la rattacher à un bout de sa propre vie.

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