Fashion Plaza Nights

Petite histoire (de l'art) par Bernard Lamarche, conservateur de l’art actuel (2000 à ce jour), MNBAQ
4 juin 2014

Suivant une logique acharnée, Patrick Bernatchez a photographié de façon répétitive l’édifice Fashion Plaza, à Montréal, dans lequel se trouvent son atelier et ceux d’autres artistes, ainsi que de nombreux locaux industriels, notamment reliés au textile. Le bâtiment et la vie qu’il abrite sont au centre du cycle de création Chrysalides, qui regroupe quelques œuvres cinématographiques, mais aussi des dessins explorant les thèmes de la dévoration, de la sexualité, de la régénération, de la mort et de la métamorphose, comme l’analyse avec justesse Bernard Schütze.

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    Le projet Fashion Plaza Nights, expliqué en salle d'exposition, accompagné d'un extrait de la partition.

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    Fashion Plaza Nights, 12 compositions pour 2 pianos et 4 mains, par Patrick Bernatchez.

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    Fashion Plaza Nights, 12 compositions pour 2 pianos et 4 mains, par Patrick Bernatchez.

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    Patrick Bernatchez, Fashion Plaza Nights, 2007-2013. Partitions, bande sonore, fichiers numériques, fil, supports, plateforme tournante, haut-parleurs et photographie. Dimensions variables.

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    Patrick Bernatchez, Fashion Plaza Nights, 2007-2013. Partitions, bande sonore, fichiers numériques, fil, supports, plateforme tournante, haut-parleurs et photographie. Dimensions variables.

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    Patrick Bernatchez, Fashion Plaza Nights, 2007-2013. Partitions, bande sonore, fichiers numériques, fil, supports, plateforme tournante, haut-parleurs et photographie. Dimensions variables.

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Pour le projet Fashion Plaza Nights, initié en 2007, l’artiste s’est imposé un protocole exigeant. Pendant un an, à raison d’une fois par mois, il a photographié l’édifice sous toutes ses coutures, de la tombée du jour jusqu’au matin. Ce faisant, Bernatchez a capté les fenêtres éclairées et leur disposition variable sur les parois du bâtiment. Du coup, il a saisi, dans différents états, les traces de la vie nocturne des occupants de l’immeuble. Transposant la stratification verticale de l’édifice de 12 étages sur les portées superposées d’une partition musicale, il a composé des musiques pour 2 pianos, qui peuvent être considérées comme les trames sonores des nuits des travailleurs. [C'est d'ailleurs la pièce que vous entendez dans le «timelapse» plus bas sur cette page]. Correspondant aux 12 mois de l’année, ces pièces musicales traduisent la douce agitation d’un lieu occupé ainsi que les fluctuations de l’éclairage au fil du changement des saisons.

Dans une version antérieure de l’œuvre, la musique pouvait être entendue au moyen d’écouteurs branchés sur un iPod et les cahiers de musique, consultés sur place. Pour l'exposition Les matins infidèles. L'art du protocole, l’artiste a donné à son travail une facture plus dramatique et spectaculaire. La musique est désormais diffusée par une tour de haut-parleurs. Évoquant une des activités nocturnes dont le Fashion Plaza est le siège, Bernatchez a transporté dans l’espace d’exposition des supports à bobines. De celles-ci s’échappent une multitude de fils qui, progressivement, selon un temps long qui s’échelonnera sur plusieurs semaines, s’enrouleront autour de la source sonore. Au bout d’une période évaluée à 3 mois, un cocon se sera formé, recouvrant et étouffant entièrement la colonne de haut-parleurs, avant que le mouvement ne recommence au tout début et qu’un nouveau cocon se forme. [Depuis le début de l'exposition au MNBAQ en novembre 2013, le cocon a grandi, élargi... Le 29 mai dernier, nous avons procédé au démentèlement du premier cocon pour en laisser naître un nouveau d'ici la fin de la présentation, soit le 14 septembre prochain].

Ainsi, à partir de la transposition d’une série systématique de clichés en musique, une nouvelle chrysalide se forme sous nos yeux. Les thèmes de la métamorphose et de la régénération prennent un sens supplémentaire dans le contexte de cette double transformation. Comme chez les insectes holométaboles, qui se métamorphosent complètement, la vie nocturne intérieure de l’édifice modifie sans cesse l’apparence extérieure de l’immeuble, dont l’éclairage, élément visuel, est converti en élément sonore, seconde transmutation. Les nouvelles modalités de présentation de l’œuvre accentuent l’idée d’une double renaissance et rappellent, sur un mode référentiel, l’activité ouvrière du Fashion Plaza, elle-même tournée vers une transformation de la matière. Ainsi, la musique se fait envelopper, comme si l’artiste avait voulu nous faire comprendre que la transposition des lumières en partition dissimule une nouvelle vie. La musique finit par s’éteindre, sa poésie assourdie graduellement jusqu’au silence. Mais une fois la chrysalide achevée, le cycle de l’œuvre recommence.

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