De Ferron à BGL. La loupe de l’actualité ?

Nouvelles par Bernard Lamarche, conservateur de l'art actuel
1 avril 2020

Alors que l’on me demande de partager des coups de cœur pigés dans les salles d’art contemporain et actuel qu’en temps normal je fréquente quotidiennement, il me vient une idée. Il m’est revenu en tête une notion d’histoire de l’art, d’histoire sociale de l’art plus précisément, apprise sur les bancs de l’université que j’avais rangée dans ma tête, mais qui n’a probablement jamais cessé d’y travailler.

On y défend l’idée que les œuvres d’art, même anciennes, puissent être approchées selon une valeur d’actualité qui revient à porter sur elles un regard informé par ce qui se passe maintenant. Pour changer d’angle de vue et témoigner de la pluralité des voix que chaque œuvre d’art peut porter, il s’agit de leur poser des questions depuis le temps présent. Or, inutile de rappeler que ce dernier est passablement chamboulé actuellement.

En ce moment de distanciation physique forcée, difficile de ne pas penser aux milliers de travailleurs indispensables impliqués dans la crise ou emportés par celle-ci. Devant une œuvre comme Les travailleurs (2002) d’Emmanuelle Léonard, impossible de ne pas songer à ces milliers d’emplois perdus et ceux sur lesquels nous devons compter.

Emmanuelle Léonard, Les travailleurs (2002) © Emmanuelle Léonard

Mais surtout, en voyant l’artiste s’effacer pour tendre l'appareil-photo à des travailleurs comme elle l’a fait en 2002, pour qu’ils partagent leur point de vue sur leur environnement de travail, l’œuvre devient une sorte d’hommage. Mieux, en substituant le regard de plusieurs photographes amateurs au sien pour capter leur milieu, elle témoigne d’empathie. C’est une manière de se mettre à la place des travailleurs que Léonard en appelle.

Deux œuvres, aux antipodes sur le plan de l’esthétique, sans même se trouver dans les mêmes salles, donnent l’impression de ralentir le temps. C’est le temps mis à les faire qu’elles expriment et suggèrent un ralentissement parfois souhaitable.

 

Rober Racine, avec ses 1600 Pages-Miroirs produites entre 1980 et 1995, avait entrepris un immense chantier, celui d’enluminer les pages du dictionnaire, qu’il a patiemment découpées, annotées, rehaussées pour en faire des trésors. 

Loin de là, mais au profit d’une semblable décroissance où la productivité est remplacée par des valeurs marquées par la lenteur, la fameuse voiture de bois de BGL repose sur ses brindilles artificielles. Au modèle de course, BGL substitue un modèle gossé à la main et met l'accent, comme jamais peut-être, sur l'envie d’être Perdu dans la nature (La Voiture), comme le veut le titre de l’œuvre.

BGL,Perdu dans la nature (La Voiture) 1998 © BGL

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Dans le jardin de BGL, The Scar Project de Nadia Myre (2005-2013), autre œuvre au temps long, ne pourrait mieux crier aujourd’hui sa pertinence. Fruit de la cueillette sur de petits tableaux, de centaines de blessures physiques et symboliques auprès d’autant de participants, elle résonne de l'expression de leur douleur, dans une entreprise de guérison en ce moment crucial.

Aussi, il faut garder en tête une œuvre dont le titre, actuellement, ne pourrait mieux vibrer avec les centaines de dessins qui ornent les fenêtres des maisons depuis plus d’une semaine : Arc-en-ciel (pour Rose et Licorice) de David Elliott (2008).

David Elliott, Arc-en-ciel (pour Rose et Licorice) (2008) © David Elliott

 

 

 

 

 

 

 

 

La toile partage une conception pétillante de la vie, avec ses souvenirs, ses symboles et la musique qui lui donne ses épices. Surtout, avec son titre de circonstance, c’est une œuvre qui donne espoir.

2 Commentaires

quel à-propos! et réconfortant!

louise gaudet riverin

Serait-ce le musée à domicile ? au fait, c'est qui BGL ? Au plaisir.

trétout gilles

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