Ressentir : à la recherche du temps perdu

Nouvelles par Anne-Marie Bouchard, conservatrice de l'art moderne, MNBAQ
5 mai 2020

 

 Ma fascination pour l’impressionnisme remonte à ma tendre enfance. Le souvenir le plus lointain que j’en ai est un chandail avec un bel imprimé des Danseuses bleues d’Edgar Degas à l’achat duquel j’avais consacré la totalité du petit budget qui m’avait été alloué par mes parents lors d’un de nos traditionnels séjours annuels dans le Maine.

 

Plusieurs années plus tard, c’est aussi à l’impressionnisme et au postimpressionnisme que j’ai consacré mes études doctorales, intéressée par les relations fécondes entre art et anarchisme qui faisaient jour autour de 1900. Je n’ai jamais cessé d’admirer la richesse intellectuelle et esthétique de cette production artistique qui se cache volontiers sous des faux-semblants de simplicité et de rapidité. À plus d’un siècle de distance, l’impressionnisme continue de narguer, de manière irrévérencieuse, les regards superficiels.
 

J’ai toujours eu un faible pour le temps long, pour la contemplation du paysage et des mœurs qui se métamorphosent au gré des saisons, attrait qui fait écho à celui des impressionnistes. Devant À l’ombre de l’arbre, tableau d’Helen McNicoll nous accueillant à l’entrée de la salle Ressentir, j’apprécie la palette de couleurs qui me transporte au cœur de l’été et la douceur de la scène qui réveille le souvenir des siestes en plein air bercées par la brise estivale et le chant des oiseaux.

L’œuvre stimule mes sens et m’aspire, si bien que je me prends à ressentir la scène comme si j’étais la jeune femme au centre du tableau : la fraicheur à l’ombre, la détente pendant le sommeil de l’enfant, la texture des pages du livre et celle de la couverture, l’odeur de l’été et celle du nouveau-né. Je suis à la recherche du temps perdu par-delà un moment fugace saisi à la surface d’un tableau. À l’instar de Marcel Proust, je trouve apaisant le pouvoir d’évocation des œuvres qui ravivent des sensations et des sentiments qui nous ont marqués.

Ressentir implique aussi la conscience d’un état subjectif qui fut toujours au centre de l’expérience picturale des impressionnistes : restituer les impressions changeantes d’un lieu ou d’une scène, capter ce qui stimule les sens, favoriser l’introspection, la conscience de la dimension inaliénable du soi dans notre expérience du monde.

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Maurice Cullen s’inscrit résolument dans cette perspective dans l’œuvre Poudrerie, rue Craig, Montréal qui vous plongera irrémédiablement dans une sensation de vent, de neige, de visibilité réduite, voire d’école fermée ! L’apport original des artistes canadiens à l’impressionnisme est perceptible dans la luminosité cristalline des journées de grands froids que l’on peut aussi apprécier dans Le Pont de Glace à Québec de Clarence Gagnon, dans la mise en valeur des superbes couleurs de l’automne que Robert Pilot magnifie dans Labour d’automne, Sainte-Agnès, PT-Q et dans les extraordinaires scènes de printemps de Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté. Chacune de mes visites dans la salle Ressentir me mène à Dégel d’avril à Arthabaska qui est, pour moi, emblématique de la personnalité de cet artiste unique, aussi maitrisé qu’expérimentateur.

 

 

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Mon dernier coup de cœur dans cette salle va à Jules-Ernest Livernois et sa Scène à la Grande Décharge du lac Saint-Jean pour la même puissance d’évocation d’un temps perdu qui s’en dégage : les postures figées à jamais, l’arbre recourbé qui encadre les figures, les rochers au premier plan et l’horizon quasi infini.

La sensibilité du photographe qui saisit l’intérêt de ce mélange brut d’eau, de roches et de forêt me fait penser à une citation bien connue du photographe français Henri Cartier-Bresson :

« Le Temps court et s’écoule et notre mort seule arrive à le rattraper.
La photographie est un couperet qui dans l’éternité saisit l’instant qui l’a éblouie. »

 

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Helen McNicoll, À l'ombre de l'arbre (vers 1910) Collection du Musée national des beaux-arts du Québec

Maurice Cullen, Poudrerie, rue Craig, Montréal (1912) Collection du Musée national des beaux-arts du Québec

Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, Dégel d'avril à Arthabaska (1919 ?) Collection du Musée national des beaux-arts du Québec. Restauration effectuée par le Centre de conservation du Québec

Jules-Ernest Livernois, Scène à la Grande Décharge du lac Saint-Jean (vers 1890) Don de la collection Michel Lessard. Collection du Musée national des beaux-arts du Québec

6 Commentaires

Très beau les peintures et magnifique les toiles des peintres

Stéphanie

Très interessant

Paulette Reynaud

Très beau texte Anne-Marie!

Joanne Bouchard

Très beau, en effet. Ça donne le goût d'y aller et d'y retourner... souvent !

Ginette

J'y ressent une douceur pénétrante,,,,,merci

Richard Moissan

Le ressentir est également présent dans votre écriture! Les émotions se vivent à travers l'art et cette dernière nous procure le plus grand bien! Bravo et merci!

France Ouellet

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