Petite histoire (de l'art) par Anne-Marie Bouchard, conservatrice de l'art moderne, MNBAQ
25 août 2020
… M. Napoléon Bourassa travaille actuellement à un grand tableau […]
dans lequel figureront les hommes les plus illustres de l’Amérique,
depuis Christophe Colomb jusqu’aux célébrités modernes.

 

Cette phrase, tirée des Variétés d’un numéro du Foyer canadien en 1866, pointe candidement le piège que recèle la peinture d’histoire : le diable est dans les détails. La salle Imaginer du pavillon Gérard-Morisset met en lumière l’une des facettes de l’histoire de l’art qui m’a toujours intéressée : le rôle, aussi singulier que démesuré, de l’artiste dans la construction de l’histoire par l’image.

L’œuvre de Napoléon Bourassa, que l’on retrouve en entrée de salle, est un cas de figure particulièrement fertile. Comme le souligne adéquatement la citation du Foyer canadien, l’artiste se permet d’imaginer qui, parmi les célébrités contemporaines, passera à l’Histoire, avec un grand H ! Ceci explique peut-être pourquoi dans cette vaste composition, les figures d’artistes et d’écrivains côtoient les explorateurs et les hommes politiques des temps de la Renaissance, mais qu’elles se font rares parmi les figures contemporaines choisies par Bourassa. Parmi les célébrités modernes, on retrouve essentiellement des hommes politiques qui bénéficient d’une visibilité médiatique qu’il est facile de méprendre pour une éventuelle postérité. La réunion, dans un même panthéon, de Léonard de Vinci et de John A. McDonald a de quoi rendre songeur.

La peinture d’histoire ne va pas sans un lot de défis : comment invente-t-on le visage d’un bâtisseur dont on ne connaît pas les traits véritables ? Comment imagine-t-on, à distance dans le temps, les grands moments de l’histoire ? Quel style sied le mieux à quelle histoire ? Autant de questions dont les réponses se présentent, dans la salle Imaginer, sous les dehors polymorphes des œuvres monumentales de Napoléon Bourassa (L’Apothéose de Christophe Colomb), Charles Alexander (L’Assemblée des six comtés à Saint-Charles-sur-Richelieu, en 1837) et Marc‑Aurèle de Foy Suzor-Coté (Jacques Cartier rencontre les Indiens à Stadaconé, 1535).

Je me plais souvent à considérer que le principal intérêt de la peinture d’histoire ne réside pas tant dans son potentiel de commémoration, bien que ce potentiel ait constitué la principale motivation des artistes et commanditaires d’une telle production, en vogue dans un contexte de montée des nationalismes.

À mes yeux, l’intérêt de la peinture d’histoire réside dans sa capacité à évoquer toute la complexité de la tâche de l’historienne de l’art et conservatrice (moi !), qui ne doit jamais perdre de vue que la mise en valeur du patrimoine artistique implique de célébrer une vision passée du monde face à laquelle un malaise l’assaille la plupart du temps.

Ce malaise est abordé de front dans la salle Imaginer, avec l’objectif explicite d’amener une réflexion sur les postures sociales de l’artiste et du Musée. La richesse de l’histoire réside dans le recul qu’elle nous procure au présent, puisque nous sommes « condamnés » à lire le passé à partir de notre situation dans le temps et dans l’espace. Les trois grandes œuvres de Bourassa, Alexander et Suzor-Coté sont autant d’opportunités de donner la parole aux absents de notre histoire afin de les rendre à nouveau visibles.

2 Commentaires

je trouve cette page d'histoire fort intéressante. J'aime beaucoup Napoléon Bourassa. En 1993, dans le cadre des travaux comme céramiste potière, j'avais fait une recherche avec ma professeure de dessin sur ce grand peintre qui me rejoint en profondeur. Merci pour ce pan d'histoire.

Nicole Boyer

Ça m'a toujours intriguée ce chevauchement de personnages... merci de l'avoir commenté. D'autre part, savez-vous quand reprendra l'activité "A vos crayons" pour adultes? J'ai très hâte! Merci de nous en aviser.

Nicole Doré

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