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Le fabuleux destin des tableaux des Abbés Desjardins

15 juin 2017 au 4 septembre 2017

Cette exposition souligne en 2017 le bicentenaire de l’arrivée au Canada de quelque 200 tableaux initialement exécutés pour les églises de Paris durant les 17e et 18e siècles par des artistes peintres renommés, saisis lors de la Révolution française. Ces tableaux sont ensuite rassemblés par l’homme d’église Philippe-Jean-Louis Desjardins afin d’être expédiés à Québec pour être vendus dans les paroisses et communautés religieuses alors en pleine expansion. Peu connu en France, cet important corpus de tableaux religieux a récemment fait l’objet d’études scientifiques.

Un fabuleux destin

Deux grands moments marquent leur histoire : leur usage français ainsi que leur utilisation et leur impact, au 19e siècle, dans la province de Québec. Dans un premier temps, grâce à de récentes découvertes du côté de la France qui ont mené à de nouvelles attributions, leur contexte de création est mieux connu. Plusieurs grands noms de la peinture française ont été mis à contribution tels les Claude Vignon, Simon et Aubin Vouet, frère Luc, Charles-Michel-Ange Challes, Jean-Baptiste Corneille, Daniel Hallé, Pierre Puget, Michel Dorigny, Louis Boulogne le jeune, Joseph Christophe, Pierre Dulin, Samuel Massé, Jean-Jacques Lagrenée, François-Guillaume Ménageot ou encore Matthias Stomer, dont plusieurs étaient peintres de la cour des rois de France.

Philippe-Jean-Louis Desjardins connaissait bien la situation des églises du Québec par son frère, Louis-Joseph, aumônier des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec. Le clergé et les communautés religieuses sont alors en pleine expansion et ne disposent pas suffisamment d’œuvres de qualité dignes de servir de support à la dévotion. En 1817 et 1820, ce sont près de 200 tableaux qui prendront le chemin de Québec. Ceux-ci seront ensuite remontés et vendus sur place avant d’être dispersés dans différentes églises et chapelles. Parallèlement, une nouvelle cohorte d’artistes canadiens, tels les Jean-Baptiste Roy-Audy, Joseph Légaré, Antoine Plamondon et Théophile Hamel, se sera formée à la peinture en procédant à la restauration des œuvres françaises et en les copiant à la demande des commanditaires, palliant ainsi à la pénurie de peintres dans la colonie britannique. On assiste alors à la naissance de la peinture canadienne, mais également à la création des premières collections d’œuvres d’art au Québec et à l’apparition d’un premier musée.

L'exposition

Une sélection d’une quarantaine de tableaux français et d’une vingtaine de copies québécoises témoignant de chefs-d’œuvre français disparus mais également de la pratique des artistes d’ici sera présentée dans le pavillon Pierre Lassonde dans une mise en scène contemporaine. Seuls les tableaux français de la présentation de Québec retraverseront l’Atlantique à l’automne 2017 pour être exposés au Musée des beaux-arts de Rennes, le partenaire dans cette grande aventure muséale du MNBAQ.

UN CONSERVATEUR RACONTE

Le 8 mai dernier, en direct du décrochage de quatre œuvres à l'église de Saint-Antoine-De-Tilly pour l'exposition Le fabuleux destin des tableaux des abbés Desjardins, Daniel Drouin, conservateur de l'art ancien au MNBAQ, expliquait la destinée de ces impressionnants tableaux. Pour en savoir davantage, suivez-nous sur Facebook.

UNE VASTE OPÉRATION DE DÉCROCHAGEs

Parmi les impressionnants tableaux qui seront présentés cet été au MNBAQ à l’occasion de l’exposition Le fabuleux destin des tableaux des abbés Desjardins, certains ont été prêtés et décrochés d'une douzaine d'églises au Québec et au Nouveau-Brunswick. Laissez-vous raconter le destin d'un tableau de Trois-Rivières, ou encore celui de quatre tableaux de la Montérégie.

Yasmée Faucher, chef de la gestion des opérations au MNBAQ, explique la logistique et les nombreux défis de ces décrochages.

Le 19 mai dernier a eu lieu le décrochage de deux tableaux des abbés Desjardins à la chapelle et au Musée des Ursulines de Québec. Cette institution conserve 13 tableaux des abbés Desjardins, dont 9 dans la chapelle. Daniel Drouin, conservateur de l'art ancien au MNBAQ, s'entretient avec Natalie Perron, coordinatrice en muséologie, pôle culturel du Monastère des Ursulines.

Les thèmes de l’exposition

Il était une fois… Philippe-Jean-Louis et Louis-Joseph Desjardins

Philippe-Jean-Louis (1753-1833) et Louis-Joseph (1766-1848) Desjardins sont nés à Messas, en France. Ils entreprennent tous deux des études théologiques au séminaire d’Orléans, puis à Paris, enfin à Bayeux. Le premier est ordonné en 1777, le second en 1790. Lors de la Révolution, les deux frères, fidèles à leurs valeurs, fuient la France pour l’Angleterre. L’aîné arrive à Québec en 1793 – suivi de son cadet un an plus tard – et occupe diverses fonctions, dont celles de vicaire général, de professeur au séminaire, de chapelain des Augustines de l’Hôtel-Dieu et d’aumônier des Ursulines. Le plus jeune est d’abord missionnaire dans la Baie-des-Chaleurs avant de devenir vicaire – puis curé – de Notre-Dame-de-Québec, chapelain des Augustines et supérieur des Ursulines.

Philippe regagne la France en 1802. L’intérêt qu’il porte au diocèse de Québec et son expérience l’amènent à constater qu’il n’existe que peu de peintres capables de répondre aux commandes locales. De retour dans sa patrie, il découvre également que l’entreprise familiale est en graves difficultés financières. Une solution simple se présente à son esprit : vendre des tableaux au Bas-Canada et se servir des profits pour aider sa famille.

Entre 1803 et 1810, il acquiert des toiles dans des circonstances encore mal définies. Un premier envoi est effectué en 1816 : quatre rouleaux et une caisse totalisant 120 tableaux quittent le port de Brest pour New York. Sur place, il faut s’occuper du dédouanement et organiser le transport jusqu’à Québec. Ce dernier a lieu durant l’hiver de 1817, en traîneau. Louis-Joseph reçoit les œuvres à Québec dans la chapelle extérieure des Augustines, qui est transformée en atelier. Plusieurs jeunes artistes y remontent les peintures sur des châssis et les restaurent avant qu’elles ne soient vendues à diverses paroisses et communautés. Le scénario se répète en 1820 avec une soixantaine de tableaux.

Les peintures du 17e siècle du fonds Desjardins

Le fonds Desjardins est constitué en majeure partie d’œuvres du 17e siècle, pour l’essentiel, françaises, mais aussi issues des écoles italiennes et nordiques.

La composition de cet ensemble est très révélatrice du goût des Français à l’époque de la Révolution. De fait, elle témoigne des choix de conservation opérés pour départager les œuvres qui seraient redirigées vers les musées nouvellement créés de celles qui seraient vendues et rachetées par des amateurs, comme l’abbé Philippe Desjardins. La génération des peintres des années 1640 (parmi lesquels Jacques Stella, Laurent de La Hyre, Eustache Le Sueur, Sébastien Bourdon et leur modèle Nicolas Poussin), si appréciés pour leur classicisme par les commissaires révolutionnaires chargés de constituer le noyau des collections nationales françaises, est ainsi totalement absente de ce fonds, ou bien s’y trouve sous de mauvaises attributions au moment de l’arrivée des tableaux à Québec. Seules quelques œuvres de Philippe de Champaigne et de son atelier font exception.

La force du fonds Desjardins réside dans les deux extrémités du siècle. Le Christ au jardin des Oliviers, l’une des rares toiles connues de Quentin Varin, introduit dans la salle un ensemble remarquable des années 1630 comportant deux tableaux de Simon Vouet et plusieurs œuvres de ses élèves et suiveurs, tels Michel Dorigny et Jean Senelle. De la seconde moitié du siècle, essentiellement les années 1680-1690, il ressort quelques tableaux anonymes, comme Les Anges et les bergers adorant l’Enfant Jésus, mais surtout les grands tableaux des Daniel Hallé, frère Luc, Jean-Baptiste Corneille et Louis de Boullogne, dont La Présentation de Jésus au temple, qui compte parmi les chefs-d’œuvre de l’exposition.

Le maître Simon Vouet et son entourage

Vers 1630, une nouvelle génération d’artistes partis se former en Italie rentre en France. Le retour le plus remarqué est celui de Simon Vouet, en 1627. Après une brillante carrière essentiellement menée à Rome, le peintre est rappelé à Paris par Louis XIII. À ce moment, Philippe de Champaigne et Claude Vignon – dont des œuvres sont exposées dans cette salle – amorcent leurs carrières, et le plus grand atelier de la ville est celui de Georges Lallemant. L’atelier de Simon Vouet le surpasse rapidement. Les commandes religieuses ponctuent la carrière de Vouet parallèlement aux décors privés, où il excelle.

Le fonds Desjardins livre un ensemble particulièrement important d’œuvres de Simon Vouet et de son entourage. Il s’agit d’un des points forts de ce lot d’œuvres et de cette exposition. Le maître lui-même est représenté par deux tableaux d’autel. Saint François de Paule ressuscitant un enfant est l’une des dernières commandes exécutées par Vouet avant sa mort, alors que L’Apparition de la Vierge et de l’Enfant Jésus à saint Antoine, révélée ici après sa dérestauration, se place tout au début de la carrière parisienne du peintre, juste après son retour d’Italie.

Autour de ces deux tableaux d’autel se trouvent des toiles où l’influence de Vouet et la diffusion de sa manière sont sensibles.

Les peintures du 18e siècle du fonds Desjardins

Dans le fonds Desjardins, les œuvres du 18e siècle – principalement françaises – sont moins abondantes que celles du 17e. Sur le plan chronologique, cependant, l’ensemble couvre tout le siècle. Il est formé d’un corpus de tableaux exécutés pour les églises de Paris par les artistes les plus importants de l’époque. Des originaux ou des copies de tous les grands noms – Collin de Vermont, Restout, Cazes, Massé ou Vanloo – y étaient présents à l’origine, plusieurs ayant disparu depuis. On ne s’étonnera pas de l’absence d’un Boucher ou d’un Fragonard, la commande religieuse ayant occupé une place mineure dans leurs œuvres respectifs.

La seconde moitié du siècle, qui correspond à un renouveau de la peinture d’histoire et au retour progressif vers le modèle antique, est illustrée par les tableaux de Challe pour l’oratoire du Louvre, les deux chefs-d’œuvre de Lagrenée provenant de l’abbaye de Montmartre et le grand tableau de Ménageot. À ces productions de peintres établis s’ajoutent des œuvres d’artistes moins connus tels que Godefroy ou Preudhomme (chapelle des Ursulines de Québec). Ces œuvres du 18e siècle brossent ainsi un portrait de leur époque plus exhaustif que celles du 17e. Il faut garder à l’esprit que les peintures du Siècle des lumières, encore très récentes quand la Révolution a éclaté, ne bénéficiaient pas toujours du même prestige que les œuvres du Grand Siècle.

Le fonds Desjardins et Joseph Légaré à l’origine du musée d’art au Québec

À partir du début des années 1820, le peintre autodidacte de Québec Joseph Légaré acquiert plusieurs toiles du fonds Desjardins. Certaines inspireront ses nombreuses copies. Sa collection servira d’élément déclencheur à la constitution des deux premiers musées d’art créés au Québec au XIXe siècle.

Dès 1829, Légaré expose sa collection dans la salle de réunion de la Société littéraire et historique de Québec. En 1833, il la déménage pour un temps dans sa résidence de trois étages sise rue Sainte-Angèle. Plus tard, en 1838, en association avec l’avocat Thomas Amiot, il inaugure la Galerie de peintures de Québec. Les efforts de Légaré ne semblent toutefois pas concorder avec les intérêts du public, et la galerie ferme ses portes en 1840. La témérité du peintre le pousse néanmoins à ouvrir en 1852, dans sa nouvelle demeure (angle Sainte-Ursule et McMahon), la Quebec Gallery. Légaré meurt en 1855. Sa veuve maintient le musée en activité jusqu’à son propre décès en 1874. Mgr Thomas-Étienne Hamel, supérieur du Séminaire de Québec et recteur de l’Université Laval, se porte alors acquéreur des œuvres.

Cette acquisition jette les bases de la Pinacothèque de l’Université Laval alors que l’Amérique du Nord entre dans une période de « muséomanie ». Ainsi, avant même l’inauguration du premier édifice de l’Art Association of Montreal (futur Musée des beaux-arts de Montréal) en 1879, Québec possède, grâce à la détermination de Joseph Légaré, un musée d’art dont les fondements reposent sur l’importation des tableaux Desjardins quelque 60 ans plus tôt.

Les tableaux des Augustines et des Ursulines de Québec

Les abbés Desjardins, nous l’avons vu, ont eu des liens privilégiés avec les Augustines de l’Hôtel-Dieu et les Ursulines de Québec, des liens qui vont bien au-delà des tableaux eux-mêmes. Dès le départ, les premières ont été partie prenante de l’aventure en prêtant leurs édifices pour les opérations de réception des toiles, de déballage et de remontage ainsi que pour l’accueil des artistes mis à contribution et des clients de toutes provenances. Le tableau La Vierge plaçant sainte Thérèse sous la protection de saint Joseph, de François-Guillaume Ménageot, habituellement accroché au retable de l’autel latéral gauche de la chapelle extérieure des Augustines, témoigne encore de nos jours de cet épisode marquant.

Plusieurs générations d’ursulines ont vénéré Le Christ exposant son Sacré-Cœur à Marguerite-Marie Alacoque de Pierre-Jacques Cazes, normalement placé de manière stratégique dans leur chapelle extérieure. Cette dernière est le lieu de culte au Québec qui, de nos jours, donne accès en permanence au plus grand nombre de tableaux Desjardins. En effet, sept toiles y sont accrochées, dont Le Repas chez Simon du frère André, le plus grand de tous les tableaux Desjardins avec ses 3,66 mètres de hauteur et ses 6,10 mètres de largeur

Copie et diffusion des tableaux Desjardins

Les tableaux Desjardins ont joué un rôle capital dans l’essor de la peinture au Bas-Canada en stimulant de jeunes carrières d’artistes peintres qui, après avoir exécuté des copies des toiles, ont diversifié leur production. Puisqu’il n’y a alors pas d’académie ou d’école des beaux-arts au Bas-Canada, ces peintres ont pu apprendre les rudiments de leur art en se basant, avec plus ou moins de liberté, sur la tradition académique française accessible par ce bassin d’œuvres des 17e et 18e siècles.

L’inventaire des copies réalisées – un peu plus de 120 exécutées au 19e siècle – révèle qu’environ le quart des tableaux Desjardins ont servi de modèle aux artistes québécois. Les œuvres copiées se concentrent dans la chapelle du Séminaire de Québec, la basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec et la collection de Joseph Légaré. La dispersion de ces copies a atteint près de 70 paroisses ou collectionneurs, entraînant un vaste rayonnement de ces tableaux dans nos églises.

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