Passion hivernale | Franchère

Petite histoire (de l'art) par Anne-Marie Bouchard, conservatrice de l'art moderne, MNBAQ
14 février 2016

La collection d’œuvres d’art de l’homme d’affaires et philanthrope Pierre Lassonde, présentée dans l'exposition Passion privée, est le fruit de l’exercice de l’œil averti du collectionneur, qui avance patiemment, ne voulant acquérir que ce qu’il y a de mieux. S’en dégage également un amour pour le paysage, et plus particulièrement pour les scènes d’hiver, cette saison qui définit véritablement le Québec.

Nous souhaitions aborder ce sujet du paysage hivernal dans une série de billets de blogue décrivant près d'une vingtaine d'œuvres présentées en salle d’exposition.

Pour cet article, Anne-Marie Bouchard, conservatrice de l'art moderne au MNBAQ, décrit Sport canadien, toile de Joseph-Charles Franchère.

Sport canadien, J-C Franchère
Joseph-Charles Franchère, Sport canadien (avant 1911). Huile sur toile, 76,2 x 56,3 cm. Collection Pierre Lassonde.

 

Joseph-Charles Franchère a présenté cette scène de genre sous le titre Sport canadien au Salon du printemps de l’Art Association of Montreal en 1911, où elle a fait sensation auprès de la presse francophone. Les deux plus grands quotidiens montréalais du début du XXe siècle, La Patrie et La Presse, l’ont d’ailleurs choisie pour illustrer leur compte rendu de l’événement annuel6. Professeur depuis plus de dix ans, le peintre, auréolé de ses années d’études à Paris et de son titre d’élève de Jean-Léon Gérôme, jouit d’une bonne réputation, principalement dans les milieux francophones.

Le sujet de ce tableau en fait un parfait exemple d’une part considérable du travail de l’artiste, qui s’inscrit dans la vogue des scènes pittoresques canadiennes si appréciées par le public et les critiques au tournant du XXe siècle. À l’instar de nombreux collègues, dont Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, qu’il a connu à Paris, et Alfred Laliberté, avec qui il partagera un atelier à partir de 1919, Franchère s’intéresse dans plusieurs oeuvres au mode de vie et aux activités traditionnelles de l’habitant canadien. Toutefois, dans Sport canadien, le peintre évoque la pratique séculaire de la raquette à neige en évitant de recourir au poncif de l’habitant ou de l’Amérindien. En effet, il opte plutôt pour la représentation d’un jeune couple en randonnée à raquettes, loisir popularisé au milieu du XIXe siècle. Trahissant leur appartenance au milieu urbain et bourgeois, le costume des jeunes gens reflète les tendances vestimentaires propres à ce sport : en plus de la tuque et de la ceinture tressée assorties, tous deux portent des mocassins en cuir mou adaptés aux raquettes7. Seule entorse à la tenue habituelle, le capot traditionnel a cédé le pas au tricot de laine, probablement préféré par l’artiste pour son élégance.

La formation académique de Franchère transparaît dans la finesse du dessin et le rendu des figures, représentées dans une mise en scène savante. Le jeune homme, accroupi, s’affaire à ajuster les lanières de cuir de l’une des raquettes de sa compagne, qui pose sur lui un regard empreint de tendresse. En misant sur la relation romantique qui unit les deux protagonistes, le peintre parvient du même coup à attirer le regard du spectateur sur les détails délicats et pittoresques des raquettes. Le paysage hivernal qui sert de décor à la scène est traité avec le même raffinement que les deux figures centrales, l’artiste ayant même pris soin de parsemer sa toile de petites touches blanches suggérant une neige légère.

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