En coulisse par Bernard Lamarche, responsable du développement des collections et conservateur de l’art actuel (2000 à ce jour)
17 mai 2021

Une voix me rappelle toujours constitue une des œuvres marquantes de la jeune carrière de Myriam Jacob-Allard. L’artiste possède une feuille de route étonnante et son intérêt pour la circulation de la culture populaire et vernaculaire à travers le numérique. Elle contribue à garder la parole vivante, véhiculée notamment par la chanson, le récit et le témoignage des aînés. Le travail de Jacob-Allard prend plus particulièrement racine dans la culture de la musique country. L’importance de sa pratique réside surtout dans le renforcement (empowerment) de la figure maternelle.

Véritable portrait du Québec, Une voix me rappelle toujours et ses 16 reprises (covers en anglais) de chansons country recoupe en vidéo le genre de la performance. L'œuvre nourrit une réflexion sur la diffusion de la culture populaire, notamment sur les réseaux sociaux, en faisant le pont entre diverses cultures, vernaculaires, orales et virtuelles.

Inscrite dans une pensée identitaire, l’œuvre est issue d’un travail de recherche qui a conduit Jacob-Allard dans plusieurs bars au Québec. Elle y a mené une enquête pour construire un échantillon de chansons interprétées ou affectionnées par des chanteuses et chanteurs consultés sur place. Cette collection témoigne d’une prise de contact avec le territoire et auprès d’acteurs de cette sphère dont l’artiste a été imprégnée toute jeune par sa grand-mère et sa mère. L’œuvre donne voix à un héritage qui au Québec, trouve plusieurs canaux de diffusion pour continuer son évolution et perdurer à travers les générations.

Une fois son baluchon rempli de chansons, Jacob-Allard a retracé, pour seize d’entre-elles, les interprétations réalisées par des chanteurs amateurs, se mettant en scène dans leur environnement domestique pour la caméra. Opérant un déplacement des planches des bars aux plateaux virtuels des chaines YouTube, l’artiste a ainsi développé un autre domaine, où ces chansons poursuivent leur chemin.

Le projet de Jacob-Allard se prolonge dans la réinterprétation de ces pièces pour l'objectif et vers un nouvel auditoire, alors qu’elle s’habille de vêtements similaires à ceux portés par les gens qui se sont filmés, tout en recréant leurs scénographies et l’atmosphère générale de la bande originale. Pas une miette cynique, ces bandes dégagent « un caractère mêlant l’humour à la mélancolie, la beauté au glauque et le fragile au stoïque », pour citer le cartel de l’œuvre lors de sa diffusion en 2016 à la Biennale de Montréal accueillie par le Musée d’art contemporain de Montréal.

Comme l’explique l’artiste dans ses notes : « Par la tentative répétée de devenir ces autres, je finis par m’éloigner et devenir étrangère à moi-même (en voulant devenir l’amateur, qui lui, veut devenir son idole). »

Aussi, elle partageait dans La Presse du 22 décembre 2016 que tout en ayant été baignée de ces chansons toute sa vie, elle évolue avec un pied dans d’autres cultures. Dans ces reprises, seul le ton employé diffère de celui des chanteurs amateurs dont elle rejoue les morceaux. Jacob-Allard devient la performeuse d’un spectacle de l’intime. Le registre se fait monocorde, passablement détaché : c’est le fil qui rattache l’ensemble des 16 bandes.

Cette distance crée un petit malaise, bien sûr, qui amplifie le caractère performatif de la série et la fait osciller entre autofiction et documentaire. L’intonation signale l’éloignement face à l’original et met l’emphase sur une relative absence de subjectivité qui contraste avec les décors si singuliers de chaque captation. Ainsi, le sentiment de solitude qui émane de ces bandes se voit accentué. Il rejoint un thème souvent repris à mêmes les chansons.

 

Jacob-Allard place au centre de la performance la notion d’imitation.

 

Elle donne un sens particulier à l’idée de réinterprétation inhérente à la musique country. L’artiste recoupe du coup la manière répandue dans le domaine des arts visuels, qui affectionne également la reprise, la citation et l’appropriation critique. Ce faisant, elle étudie les modes de mutation et d’imprégnation de la scène country.

En produisant ces recherches et en rejouant ces actes, selon ce qu'avance la commissaire Arièle Dionne-Krosnick dans le catalogue de l’exposition Do Over dans laquelle se trouvait l’œuvre à Nashville, au centre d’artistes Unrequited, Jacob-Allard adopte « le rôle de média-archiviste-ethnographe-performeuse-collectionneuse ». Pour l’auteure, l’œuvre de Jacob-Allard « témoigne de la puissance de la chanson comme histoire orale, des façons dont nous nous exposons et de notre désir inhérent d’appartenir » (traduction libre). C’est dire combien l’œuvre contribue à la réflexion sur le rôle de l’artiste dans la société. Animée d’un sentiment aigu de la notion d’héritage, Jacob-Allard l’aborde selon une approche féministe absolument nécessaire dans la constitution de notre mémoire collective.

Un extrait de la performance vidéo est disponible ici.

1 Commentaire

Bonjour, Le video n'est pas accessible: on inscrit qu'une erreur s'est produite quand je clique sur You Tube

nicole stein

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