«Guérir. L'expérience du sanatorium» : mon stage en muséologie au MNBAQ

En coulisse par Enya Kerhoas, diplômée du DESS en muséologie de l’Université Laval
24 mars 2022

Depuis 2019, l’Alcôve-école est un projet développé en partenariat par l’Université Laval et le Musée national des beaux-arts du Québec pour offrir un lieu d’exploration professionnelle en muséologie. Cette deuxième édition fut l’occasion de collaborer avec le Monastère des Augustines et le Musée de la mémoire vivante qui ont généreusement consenti des prêts de leur collection.

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S'appuyant sur des mémoires d’anciens tuberculeux, l’exposition Guérir. L’expérience du sanatorium lève le voile sur l’expérience sensible du sanatorium par les malades. La tuberculose, une des grandes maladies du XIXe siècle, entrainait, par son caractère pernicieux, un changement profond dans le quotidien du malade, entre isolement, éloignement et incertitude.

Pour combattre la propagation de cette maladie infectieuse sur laquelle le corps médical avait peu d’emprise, on popularise le concept de sanatorium. Ces grands centres de cure généralement situés en campagne servaient à isoler les malades pour éviter la contagion, mais aussi à leur offrir un mode de vie qu’on espérait bénéfique à leur état.

Jules Livernois, La Salle Sainte-Anne de l’Hôtel-Dieu de Québec (vers 1925) Collection MNBAQ. Don de la collection Michel Lessard

Ces établissements originaires d’Europe se basaient sur quatre piliers : le grand air, une diète soutenue, un bon moral et surtout, un repos absolu. Les patients passaient la plupart de leur temps couché dans leur lit, sur les galeries du sanatorium ou près des fenêtres ouvertes, été comme hiver. Ces images de malades en pyjama emmitouflés et couchés sur des portiques intriguent.

Après leur diagnostic, les patients étaient envoyés au sanatorium pour une durée incertaine, de quelques semaines à quelques années. À l’intérieur du sanatorium, on voit l’émergence d’une micro-culture fondée sur des règlements, des coutumes, un langage, un lieu et une population distincte du reste du monde. La vaccination et l’arrivée de traitements antibiotiques efficaces ont peu à peu vidé les lits de malades, faisant tomber les sanatoriums dans un oubli relatif depuis les années 1950.

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les étapes de la réalisation d'une exposition

L’exposition met en relation des objets matériels et/ou immatériels muséalisés (œuvres, objets ethnologiques, etc.) et du mobilier évoquant le décor d'un sanatorium. Les différents éléments constitutifs de l’exposition agissent comme les mots d’un récit et leur agencement dans l’espace articule la narration.

Pour commencer la sélection et m’assurer de saisir avec justesse l’histoire de la tuberculose et de ses particularités, j’ai préalablement fait de grandes recherches sur le sujet. J’ai lu sur l’aspect médical et administratif, pour ensuite m’intéresser à l’histoire sociale, en lien avec l’orientation vers l’humain qu’a pris le projet.

Cette étape était nécessaire afin d'insérer Guérir dans la mission du MNBAQ. Puisque l’art s’appuie sur l’expérience sensible, j’ai cherché à dégager les émotions par lesquelles un tuberculeux pouvait passer lors de son séjour au sanatorium lorsque j'effectuais des recherches dans la base de données du MNBAQ.

Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, L'enfant malade (1895) Collection MNBAQ

Les recherches effectuées avec les mots « malade » et « maladie » ont par exemple permis de sélectionner L’Enfant malade de Suzor-Côté, évoquant l’affliction familiale, le lien entre la misère et la maladie, de même que les traitements médicaux à la maison avant l’émergence de sanatorium. La gravure La maladie de Fernande, d’Ozias Leduc a également été choisie. Des recherches supplémentaires concernant le livre pour lequel cette gravure a été réalisée ont permis déterminer que le personnage de Fernande avait une maladie très semblable à la tuberculose. Ce faisant, cette œuvre peut évoquer les représentations de la tuberculose dans l’imaginaire populaire, sa force tragique et son caractère fatal, puisque Fernande décède à la fin du roman.

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Joseph-Charles Franchère. Sainte-Agathe (vers 1900). Collection MNBAQ
Vue de Sainte-Agathe-des-Monts depuis la colline sur laquelle est situé
le sanatorium Laurentien.

J’ai également cherché des paysages de régions ou de villes où se trouvait un sanatorium, découvrant dans la collection du MNBAQ une toile de Joseph-Charles Franchère qui correspond à une vue presque exacte de celle que les malades avaient à partir du sanatorium de Sainte-Agathe-des-Monts. À Bibliothèque et Archives nationales du Québec, une photographie du sanatorium en question a été sélectionnée, afin de la mettre en parallèle avec la toile.

Nous avons ensuite contacté l’ancien conservateur de l’art inuit du MNBAQ, puisque nos recherches avaient révélé l’existence de sculptures faites par des membres de cette communauté dans les sanatoriums. Ce faisant, une miniature présente dans les collections du MNBAQ et pouvant provenir de ce contexte a été sélectionnée.

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En parallèle à la sélection des œuvres au MNBAQ, j’ai pris contact avec le service des collections du Monastère des Augustines, en proposant une liste d’artéfacts qui pourraient être sélectionnés (objets médicaux comme objets à caractère intime). Il s’agissait par exemple de montrer l’importance de la musique et de l’actualité dans le sanatorium à l’aide d’une radio.

Les échanges avec nos collaboratrices du Monastère des Augustines ont été fertiles, si bien que la sélection finale comprend, entre autres, une épinglette d’infirmière, un jeu de cartes, un ensemble de couture, un appareil à pneumothorax, une radio, un crachoir et un thermomètre.

Je souhaitais également montrer des photographies du quotidien, des documents témoignant du fonctionnement de l’horaire, ainsi que des exemplaires de journaux de sanatorium afin d’illustrer le sentiment de communauté. J’ai recherché des documents témoignant du passage d’Inuits au sanatorium et ai, à cet effet, trouvé des traductions de phrases en inuktitut, des photographies, de la correspondance, ainsi que des documents provenant du gouvernement.

En somme, ce stage m'a appris à quel point la recherche était essentielle afin de faire une bonne sélection d’œuvres et de ne manquer aucune opportunité. En effet, chaque objet exposé est un élément permettant d’étayer le propos. C’est la recherche qui a permis de trouver des liens entre l’art, l’émotion et la maladie, ce qui a été, pour moi, une manière d’intégrer l’exposition Guérir. L’expérience du sanatorium à un musée d’art.

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