Marcel Barbeau. Seule la liberté compte

Nouvelles par Eve-Lyne Beaudry, conservatrice de l'art contemporain
6 mai 2020

Si Marcel Barbeau a contribué au développement de la peinture non figurative au Québec, la reconnaissance de son travail, au même titre que certains de ses consœurs et de ses confrères automatistes, aura malheureusement beaucoup tardé. Sur une carrière qui s’échelonne sur près de 70 ans, il aura fallu patienter pour qu’une grande rétrospective institutionnelle lui soit consacrée, une présentation que l’artiste n’aura d’ailleurs pu apprécier de son vivant. Je n’ai personnellement pas connu Marcel Barbeau. Or, au fil des deux années de recherche qu’il m’ait été donné de faire sur l’artiste, j’ai pu constater qu’il était doté d’une forte personnalité.

Intransigeant, Barbeau était très dur envers le milieu de l’art. Il l’était sinon plus envers lui‑même, allant jusqu’à lui causer de fréquents épisodes de doutes. Cette attitude prônant l’absence de compromis aura, je crois, beaucoup dérangé. Cette posture qui demande le courage de ses convictions aura aussi fait la singularité de sa démarche.

Certes, des styles très différents se succèdent tout au long de sa production, donnant lieu à des périodes qui pouvaient sembler se contredire les unes les autres, entre lesquelles aucune zone grise ne préparait la transition. Le design de l’exposition Marcel Barbeau. En Mouvement présentée par le MNBAQ en 2018, segmenté de zones noires et blanches s’enchainant, soulignait d’ailleurs ces virages esthétiques.

Maintes critiques ont d’ailleurs, à l’époque, reproché à l’artiste une absence de linéarité dans le développement de sa démarche. « It is getting to be fairly difficult to keep pace with Barbeau’s style changes » (1), de dire Gary Michael Dault, dans la revue Arts Canada en 1968.

 

 

Gilles Toupin tiendra des propos similaires dans Le Devoir au cours de la décennie suivante : « Il a été impossible depuis ses débuts d’identifier le travail de Barbeau selon une expérimentation personnelle; impossible aussi de dire qu’elle était la signature du peintre, sans cesse en mutation de mode en mode, de style en style […] (2)».

Il est vrai que, dans la seconde moitié du 20e siècle, on exigeait le plus souvent qu’un artiste adopte un univers formel précis, qu’il en explore les multiples facettes, à coup de variations progressives, jusqu’à en épuiser les limites au terme d’une carrière soutenue. Or, Marcel Barbeau l’entendait autrement. Il avait en horreur l’idée qu’un style précis lui soit accolé.

Déjà, en 1969, il défend cette posture de chercheur qui s’avère à l’amorce d’une tendance aujourd’hui affirmée et revendiquée dans le domaine des arts :

« Peindre consiste pour moi à faire une série d’expérimentations qui, lorsqu’elles me semblent avoir abouties, ne valent pas la peine d’être reprises. Je passe alors à un autre domaine de recherche ».

 

Marcel Barbeau, rebelle face aux conventions et peu soucieux de ce que les gens attendaient de lui, a toujours embrassé la liberté. Tant par son audace créative que par son ouverture envers les mouvements dominants d’ici et d’ailleurs (3), il a sans cesse souhaité renouveler ses recherches, très tôt nourries par plusieurs formes d’art. Cet attrait pluridisciplinaire s’est exprimé dans des formes aussi variées que la peinture, le dessin, l’estampe, le collage, la sculpture et la performance, ainsi que dans maints projets réalisés avec la collaboration de musiciens, de poètes et de danseurs.

S’il participe à la révolution automatiste (4) et au foisonnement de l’abstraction, Barbeau, pourvu d’une insatiable curiosité esthétique, enflammé d’une urgence de créer, ne s’est, en effet, jamais contraint à une orientation ou une forme d’expression unique. En cela, l’artiste fait figure de pionnier quant au décloisonnement des frontières, poussant la création vers une multiplicité de voies, qui parfois bifurquent et s’entrecroisent.

Entre l’intuition du geste et une démarche plus intentionnée, entre la touche impulsive et la marque délibérée, Barbeau se mouvait dans l’expérience, se débattait avec ses doutes. Il prêchait par le risque et se contraignait à surprendre, à se surprendre aussi. Entier dans sa quête, faisant fi de toutes critiques formulées à l’endroit de son parcours souvent perçu comme incongru, il embrassa l’authenticité esthétique comme un moteur d’émulation, puisque, au fond de lui-même, seule la liberté lui importait. Cette leçon que j’ai tirée de ce travail consacré à l’œuvre de Marcel Barbeau s’avère désormais pour moi un modèle.


(1) Propos rapportés dans : Barry Lord, « Toronto. Marcel Barbeau Retrospective, Scarborough College, May-June 1969 », Arts Canada, vol. XXVI, No. 4, Issue No. 134/135, août 1969, p. 38.

(2) Gilles Toupin, « Redites de Barbeau », Le Devoir, 1976, p. ? (découpe de l’article trouvé dans le dossier de l’artiste au MNBAQ)

(3) Parmi ces mouvements dominants, nous comptons l’automatisme, le néodadaïsme, le minimalisme, l’abstraction lyrique et l’art optique, notamment.

(4) Expression empruntée au titre de l’exposition The Automatist Revolution, tenue en 2009 à ???, ayant circulé à ??? et ayant eu pour commissaire Roald Nasgaard, spécialiste de l’art abstrait au Canada.

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Marcel Barbeau, Rétine optimiste ou Salute, 1964. Collection du Musée national des beaux arts du Québec. Restauration effectuée par le Centre de conservation du Québec © Succession Marcel Barbeau

Marcel Barbeau, Duègue Soltec, 1961. Collection du Musée national des beaux arts du Québec, Don de Louise Marie Laberge © Succession Marcel Barbeau

Marcel Barbeau, Kitchenombi, nº 4, 1972. Collection du Musée national des beaux arts du Québec © Succession Marcel Barbeau

1 Commentaire

Votre texte est très intéressant, ça nous permet de mieux le connaître. Merci.

Claire Simard

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